Introduction

            Le menteur est une comédie écrite par Pierre Corneille en 1644. Ce menteur, c'est Dorante, un personnage principal de grande qualité, intelligent et séduisant mais dont le principal défaut est son manque de scrupule. Il apparaît, à première vue, particulièrement doué pour manipuler ses interlocuteurs, tisser autour d'eux une toile de mensonges. Cette virtuosité dans l'art de la tromperie, tout en  interrogeant sur les conséquences d'un tel comportement, participe du principal ressort comique de la pièce. Par cette ambivalence, Corneille explore les limites de l'illusion comique et dévoile les effets ambigus du mensonge, ce qu'il apporte et ce qu'il coûte.

Si le mensonge semble d’abord maîtrisé par Dorante, qui en fait un jeu séduisant et élégant, ne finit-il pas pourtant par lui échapper, provoquant malentendus, désordre et remise en question de son pouvoir de manipulation ?

Nous verrons ainsi dans un premier temps que le mensonge est présenté comme un art raffiné et séduisant. Mais nous montrerons ensuite que cette maîtrise apparente finit par révéler ses failles, conduisant à un désordre comique révélateur.


I. Le mensonge, un art maîtrisé et séduisant dans Le Menteur

A. Le mensonge comme jeu d'esprit : la virtuosité de Dorante

Dorante se présente dès l'acte I, scène 2 comme un maître dans l'art du mensonge. Il est capable d'improviser une histoire inventée de toute pièce à son valet Cliton dans laquelle il fabule une rencontre avec une dame qu'il aurait sauvée dans les jardins du Luxembourg.  Ce n'est que la première des histoires et suite de mensonges rocambolesques, inspirés des codes du roman héroïques du XVIIe siècle ainsi que de la galanterie précieuse.

Son histoire témoigne dès lors d'une parfaite maîtrise de l'art oratoire, pastiche du style galant. Il improvise des dialogues, des gestes et des réactions, qui permettent une mise en abîme du théâtre de Dorante dans le théâtre de Corneille. Il apparaît ainsi séduisant, se donne une image chevaleresque. Le mensonge, chez lui, est un art, une manière de briller en société.

Dans l’Acte II, scène 1, il aborde Clarice (qu’il prend pour Lucrèce) avec une éloquence éxagérément romantique. Il flatte en usant d'une langue chargée de périphrases et de références littéraires.

Ainsi, par un usage précis du langage et grâce à son imagination sans limite, Dorante devient un personnage comique séduisant, à la fois ridicule et séduisant. Il illustre parfaitement l’un des objectifs fondamentaux de la comédie classique : faire rire par l’exagération, le décalage entre le réel et le discours, et la virtuosité verbale.


B. Une tradition comique : le mensonge comme ressort dramatique

Le mensonge dans la comédie est un ressort théâtral classique, qu’on retrouve chez Molière jusqu'à Marivaux. Dans Le Menteur, Corneille s’inscrit dans cette tradition mais parvient à la renouveler. Le mensonge ne sert pas seulement à créer des quiproquos : il est ici aussi le fondement de l’intrigue. Ce sont ses nombreuses affabulations et ses mensonges  qui créent l'intrigue.

Ce schéma fait écho à la structure des comédies antiques (Plaute, Térence) dans lesquelles c'est souvent le travestissement et la ruse qui mènent au dénouement. Le public reconnaît donc dans Dorante  un « servus callidus », c'est-à-dire le valet rusé, souvent plus intelligent que son maître, prompte à la manipulation pour l'aider à parvenir à ses fins, souvent amoureuses ou sociales. Ici Dorante incarne à lui seul le maître et son valet. On observe en effet une inversion du schéma traditionnel puisque le véritable valet de Dorante, Cliton, est timide, honnête et sait faire preuve du sens moral qui fait défaut à Dorante. Cette inversion ajoute une dimension comique et critique des archétypes selon lesquels la noblesse garantirait l'honnêteté. Mais là où le servus callidus, dans ses traits classiques, fait souvent triompher l'amour (voir le rôle de Pseudolus dans la pièce éponyme de Plaute), notre Menteur le met en danger. La ruse utile dans le contexte d'une situation sociale défavorable devient un travers problématique lorsqu'elle est adoptée par Dorante.

II. Une maîtrise du mensonge remise en question : quand le jeu se retourne contre le menteur

A. Le mensonge engendre le désordre et la confusion

Si Dorante semble au départ dominer son art, rapidement ses manigances se retourne contre lui et il s'en trouve dépassé. Le cœur de l’intrigue repose sur une erreur d’identité : il croit séduire Clarice, alors qu’elle est en réalité nommée Lucrèce. Acte I, scène 2, il s'exclame à l'aide de son talent oratoire : « Madame, la beauté que je sers est si célèbre qu'il est impossible que ce ne soit vous. » créant un ressort comique naissant de cette méprise. Le spectateur sait qu'il se trompe en effet de destinataire.

Cette confusion, nourrie par ses propres mensonges, provoque une cascade de quiproquos qui complexifie l’intrigue. Pour exemple, la scène 6 de l'acte III expose parfaitement ce retournement puisque Dorante raconte à Alcippe qu'il est l'amant de Clarice, quand la véritable nommée Clarice est en réalité la fiancée d'Alcippe. Peu à peu, Dorante cesse de mener le jeu : ses mensonges, trop nombreux, deviennent incontrôlables. Ce n’est plus lui qui invente, mais ses inventions qui le piègent. Il fabrique des récits pour séduire, et ce sont ces récits qui le démasquent. Le rire naît alors de cette bascule ironique : ce roi du verbe devient le jouet de ses propres fictions, prisonnier d’un théâtre qu’il croyait maîtriser. 

B. Le mensonge met en péril les relations humaines

Le Menteur appartient pleinement à la tradition comique grâce à des quiproquos, travestissements langagiers mais aussi le talent oratoire de Dorante. Pourtant, il ne se réduit pas à une simple mécanique du rire. Celui-ci est suscité par les mensonges de Dorante, mais agit en réalité comme un masque. Il dissimule, mais laisse entrevoir une critique plus profonde de la tromperie et de ses effets délétères sur les relations humaines.  Alcippe, le rival amoureux, est humilié ; Clarice est troublée par le double discours de Dorante. Même le père de Dorante, Géronte, s’inquiète des conséquences sociales et morales de ces affabulations.

Ainsi, Corneille donne au mensonge une double dimension comique et dénonciatrice. Il joue avec les codes comiques, mais montre aussi que le mensonge peut fragiliser les liens sociaux, en particulier lorsqu’il touche à l’amour ou à la famille.

III. Une réflexion comique sur les limites de l’illusion

A. Le théâtre comme lieu du mensonge assumé

Le Menteur ne se contente pas de mettre le mensonge au cœur de son intrigue : il en fait aussi le miroir du théâtre lui-même. Sur la scène d'un théâtre, tout est mensonge du gestes aux mots qui sont aprris, aux identités factices. Et pourtant, le spectateur y croit. Corneille joue dans son oeuvre sur cette ambiguïté : son personnage ment constamment à ses interlocuteurs. Le théâtre ment aux spectateurs. Mais ce mensonge est consenti. Le spectateur adhère à l'idée d'être trompé, ce qui dénoue l'enjeu moral au cœur de l'intrigue de Corneille. Le menteur devient une figure du comédien : il improvise, séduit et trompe. Là où le comédien révèle volontairement le vérités cachées de la société, Dorante le fait à ses dépends

Ce jeu de mise en abyme renforce l’ambiguïté : si tout le monde ment sur scène, alors où est la vérité. Dorante n’est-il qu’un reflet de l’acteur, qui joue un rôle face au public. Cette réflexion se retrouve dans d’autres pièces comme Dom Juande Molière, où le personnage éponyme manipule tous ceux qui l’entourent par la parole.

B. Une morale en demi-teinte : un menteur pardonné mais corrigé

La fin de la pièce apporte une résolution. Dorante reconnaît ses fautes et accepte finalement le mariage arrangé par son père. Mais ce dénouement n'efface en rien les dégâts qu'il a lui-même causé par ses mensonges. Le spectateur peut ainsi se projeter dans cet apprentissage du personnage qui prend conscience des conséquences de ses actions. Corneille ne le punit pas, mais suggère que la vérité reste un fondement nécessaire à l’harmonie sociale.

Le comique se double donc d’une leçon morale discrète, à la manière des comédies classiques. Il ne s’agit pas d’une condamnation sévère, mais d’un rappel des limites à ne pas franchir dans l’usage de la parole.

 

Conclusion

Dans Le Menteur, Corneille donne à voir un personnage dont la maîtrise du mensonge est d’abord brillante, mais finit par se retourner contre lui. À travers ce jeu théâtral, il interroge la place du langage dans la société et les effets comiques de la dissimulation. Le rire suscité par les aventures de Dorante n’efface pas la portée morale et réflexive de la pièce. Le mensonge y apparaît comme un art séduisant, mais instable, dont la maîtrise est illusoire : on croit en être le maître, on en devient vite la victime.

Sources et références

    Pierre CorneilleLe Menteur, 1644

    MolièreDom Juan, 1665

    MarivauxLe Jeu de l’amour et du hasard, 1730

    Bibliothèque nationale de France – Corneille

    Dossier pédagogique – Parcours "Mensonge et comédie", Éduscol

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