Les apports de l’étude menée par Microsoft, en partenariat avec l’université de Carnegie Mellon (Hao-Ping (Hank) Lee et al., 2025), seront ici mis en perspective avec les enjeux pédagogiques universitaires visant à préparer les étudiants à intégrer le marché du travail. Cette étude a été menée auprès de 319 utilisateurs ayant affirmé avoir recours à l’IA (ChatGPT, Copilot, Gemini) au travail au moins une fois par semaine et s’est basée sur 936 exemples concrets d’applications dans les différents milieux professionnels des répondants. L’objectif de cette enquête était de déterminer comment la pensée critique est sollicitée lors de l’utilisation d’une IA générative ainsi que son impact sur l’effort cognitif.
Vers une uniformisation refoulant la créativité ?
L’IA, un catalyseur de créativité ?
L’avènement de l’IA générative a été perçu par certains utilisateurs comme un catalyseur de créativité. Elle peut être utilisée comme un outil de brainstorming en proposant des aspects auxquels nous n’aurions pas pensés, en écrivant des brouillons ou encore en aidant à reformuler des idées (Midhat Tilawat, 2025). Avec l’IA générative, fini le syndrome de la page blanche ! Elle peut nous fournir un coup de pouce pour débuter et enfin oser se lancer grâce à sa facilité d’utilisation. De ce point de vue-là, l’IA stimule en effet la créativité, mais elle présente rapidement deux limites : une triste homogénéité et un manque flagrant de profondeur.
Une homogénéité des réponses
Les réponses proposées par une IA générative sont basées sur les données acquises lors de son entrainement et sur les données disponibles en ligne : elles sont alors en réalité lissées, sans relief, mettant en avant la pensée dominante et effaçant toute nuance ou analyse divergente. Elle abolit la réflexion personnelle et les particularités individuelles que pourrait apporter chaque individu. Ainsi, son mode de fonctionnement implique une absence totale d’idées nouvelles (Midhat Tilawat, 2025). Et ce recyclage constant d’idées déjà exploitées peut mener à un plagiat involontaire avec une « création » se rapprochant un peu trop d’un autre contenu protégé par le droit d’auteur (Hub France IA, 2024).
La profondeur, une compétence humaine
L’IA proposera ainsi un contenu monotone, répétitif et froid, qui pourra mener à terme à une homogénéisation émotionnelle (Midhat Tilawat, 2025). La spontanéité et l’intuition créative font en effet défaut à l’IA (Bartle, 2023), qui manque de sensibilité et ne saisit pas toutes les nuances des termes choisis (Midhat Tilawat, 2025). Elle est alors incapable de faire preuve de profondeur émotionnelle et de pertinence culturelle : les résultats proposés, souvent génériques, ont du mal à s’adapter à un contexte spécifique donné (Midhat Tilawat, 2025). Son algorithme tend aussi à renforcer les stéréotypes et à simplifier excessivement, ce qui gomme encore davantage les particularités individuelles.
Vers un affaiblissement du regard critique ?
Le danger d’une confiance aveugle
L’étude menée par Microsoft a montré que plus l’utilisateur a confiance en ses propres capacités, moins il aura une confiance aveugle en l’IA (Arnaud Moign, 2025). Le problème se pose donc principalement chez les travailleurs et étudiants ayant peu confiance en eux. L’IA peut proposer des données erronées : elle est connue pour inventer des informations ou proposer des interprétations hasardeuses quand elle se retrouve acculée face à une question dont elle n’a pas la réponse. Adopter une position passive face au travail de l’IA s’avère donc risqué et pourrait compromettre la fiabilité de votre travail.
Un affaiblissement ou une nouvelle orientation de la pensée critique ?
Croiser les données, consulter plusieurs sources, y porter un regard critique : ce sont des étapes incontournables dans le travail des étudiants. Aujourd’hui, l’IA semble pouvoir faire ce travail seul, grâce à sa capacité de synthèse impressionnante. Là où la question se pose, c’est sur l’évaluation de la pertinence des résultats et sur leur appropriation. Travailler avec l’IA de manière efficiente est-il alors vraiment synonyme de moins d’efforts ? Ou est-on face à un changement de la nature de l’effort ? La pensée critique ne semble plus porter sur les données lors de la phase de collecte, mais se reporte sur les résultats eux-mêmes afin d’en vérifier la fiabilité et la pertinence (Arnaud Moign, 2025).
Les obstacles à la pensée critique
Si l’IA ne dispense pas d’une pensée critique, en pratique, cette dernière rencontre tout de même des obstacles majeurs. Sans revenir sur la problématique de la confiance aveugle où les utilisateurs empruntent sans appropriation le contenu proposé par l’IA - ce qui est facilement détectable par une carence qualitative caractéristique – l’étude menée par Microsoft a mis en avant une réflexion limitée sur ce point-là aussi. Les utilisateurs se cantonnent souvent à une analyse superficielle et subjective basée sur l’aspect logique de la réponse proposée, et non sur ses sources et sur des faits concrets (Breizh.info, 2025). Plusieurs raisons à cela : ils sont confrontés à trois difficultés principales, qui sont la paresse intellectuelle (quel serait l’intérêt de gagner du temps avec une IA s’il faut ensuite en passer tout autant à vérifier les résultats ?), une surconfiance en l’IA et une difficulté à améliorer le contenu proposé (notamment à cause de l’opacité des algorithmes).
Vers une détérioration des capacités cognitives ?
Évolution de notre capacité de réflexion
Comme nous avons pu le voir, l’IA générative dispense d’un effort de réflexion. Sur les tâches d’analyse et de synthèse, elle diminue grandement l’effort à produire par l’automatisation et la structuration de la pensée (Arnaud Moign, 2025). En revanche, elle demande une nouvelle forme de réflexion, par exemple pour la formulation des prompts (Arnaud Moign, 2025). On observe ainsi le passage d’une tâche de création à une tâche de supervision (Breizh.info, 2025). Les programmes éducatifs se doivent donc d’anticiper cette transformation des métiers afin de préparer au mieux les étudiants à leur intégration sur le marché du travail.
Le risque d’ « atrophie cognitive »
L’IA peut sembler être un raccourci vers le savoir et la tentation de la facilité est forte. Mêlée à un manque de confiance en soi, un usage excessif est vite arrivé ! L’absence ou la baisse de régularité de sollicitation de certaines fonctions cognitives en diminue les capacités. C’est pour cette raison que le cerveau est souvent comparé à un muscle : plus on le fait travailler, plus il est efficace ! L’usage excessif de l’IA crée un cercle vicieux qui conduit à une dépendance intellectuelle toujours plus importante et une réduction de l’autonomie (Hub France IA, 2024). Cette dépendance diminue par ailleurs la capacité à se sortir de situations problématiques (Breizh.info, 2025).
La mémoire et la concentration
Si le neurophysiologiste Jean-Pierre Vignal a mentionné qu’une addiction restait peu probable de par l’absence de système de récompense ou de boucle de rétroaction répétitive, il a tout de même souligné que notre aptitude mémorielle est liée à notre faculté d’argumenter et de raisonner (Bartle, 2023). Un recours excessif à l’IA générative pourrait donc avoir des répercussions à long terme sur notre mémoire et notre concentration. Par exemple, l’apprentissage des langues améliore la neuroplasticité et les réseaux neuronaux liés à la cognition et à la mémoire : le recours à une IA pour traduire systématiquement, sans effort personnel d’apprentissage de la langue, influe sur notre développement cognitif (Hub France IA, 2024).
Quels impacts psycho-sociaux ?
Limites des études mobilisées
L’enquête réalisée par Microsoft arbore la forme d’un sondage et non d’un test portant réellement sur l’analyse de l’évolution des capacités cognitives des répondants. Cette étude dresse ainsi le bilan de ressentis subjectifs, de la perception des répondants et non de données scientifiquement objectives (Antoine Gautherie, 2025). Le neurophysiologiste Jean-Pierre Vignal a par ailleurs souligné qu’il n’existe pas encore d’étude scientifique sur l’impact de l’IA générative sur les fonctions cognitives et la plasticité cérébrale, car il s’agit d’un sujet trop récent pour avoir fait l’objet d’une recherche approfondie nécessitant entre trois et quatre années (Bartle, 2023). Nous pouvons cependant d’ores et déjà identifier des impacts sociologiques et psychologiques.
IA et confiance en soi
Comparer notre efficacité à celle de l’IA peut avoir un contrecoup psychologique important se traduisant par une perte d’estime de soi. La remise en question de notre propre savoir, de nos compétences, quand la réponse fournie par l’IA diffère de notre pensée (Bartle, 2023), est un impact cognitif qui peut être analysé par le prisme d’effets psychologiques connus. À cet effet, Jacky West (2025) fait référence à l’effet de halo technologique qui désigne une confiance plus marquée en l’IA qu’en nous-mêmes, engendrant un abandon de nos propres connaissances ; ainsi que l’effet d'autorité technologique, où la technologie est perçue comme plus fiable et objective que l’humain.
IA et santé psychologique
L’IA, en dévalorisant le travail humain (Hub France IA, 2024), pourrait avoir des répercussions sur la santé psychologique des étudiants et des travailleurs. Le travail devient moins stimulant, diminuant la motivation et complexifiant la recherche de sens. Face à une IA qui répond de manière plus efficace à des tâches répétitives ou volumineuses, le rôle de l’humain dans la société est redéfini (Antoine Gautherie, 2025). L’automatisation, souvent synonyme de perte d’emplois – ce qui n’est pas nouveau – a un impact sur le statut social : nous pouvons ainsi comprendre qu’avec l’ampleur de l’IA qui touche de plus en plus de métiers, un climat d’anxiété peut s’installer, pouvant parfois aller jusqu’à un état dépressif.
Conclusion
L’IA représente un outil que les étudiants devront, dans un avenir proche, savoir manier intelligemment afin de se démarquer sur le marché du travail. En revanche, cette intégration de l’IA dans l’éducation doit se faire de façon raisonnée et éthique afin de ne pas perdre en créativité, en qualité et en capacités de réflexion et d’analyse. Le marché du travail est en mutation et de nouvelles compétences seront valorisées : à l’heure où l’IA peut nous apporter des connaissances en un claquement de doigts, ce sont la créativité, l’esprit critique ou encore l’éthique qui seront valorisés.
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Sources
Antoine Gautherie (2025). L’IA générative est-elle en train de nous ramollir le cerveau ? Journal du Geek. Disponible sur : https://www.journaldugeek.com/2025/02/18/lia-generative-est-elle-en-train-de-nous-ramollir-le-cerveau/
Arnaud Moign (2025). L’IA générative a un impact sur la « pensée critique ». Techniques de l’ingénieur. Disponible sur : https://www.techniques-ingenieur.fr/actualite/articles/l-ia-generative-a-un-impact-sur-la-pensee-critique-143670/
Bartle (2023). L’impact de ChatGPT sur le cerveau humain. Disponible sur : https://bartle.fr/notes/impact-chatgpt-sur-cerveau-humain/
Breizh.info (2025). L’intelligence artificielle nuit-elle à la pensée critique ? Une étude de Carnegie Mellon et Microsoft tire la sonnette d’alarme. Disponible sur : https://www.breizh-info.com/2025/02/15/243842/lintelligence-artificielle-nuit-elle-a-la-pensee-critique-une-etude-de-carnegie-mellon-et-microsoft-tire-la-sonnette-dalarme/
Hao-Ping (Hank) Lee et al. (2025). The Impact of Generative AI on Critical Thinking: Self-Reported Reductions in Cognitive Effort and Confidence Effects From a Survey of Knowledge Workers. CHI Conference on Human Factors in Computing Systems (CHI ’25), Yokohama, Japan. DOI:10.1145/3706598.3713778.
Hub France IA (2024). Les risques de l’IA générative
Jacky West (2025). L'IA diminue-t-elle notre esprit critique ? Ce que révèle cette étude alarmante. ROBOTO. Disponible sur : https://www.roboto.fr/blog/l-ia-diminue-t-elle-notre-esprit-critique-ce-que-r-v-le-cette-tude-alarmante
Midhat Tilawat (2025). Les Limites de la Créativité dans l’IA : Un Outil à Double Tranchant. Allaboutai. Disponible sur : https://www.allaboutai.com/fr-fr/ressources/les-limites-de-la-creativite-dans-l-ia/